Redevenue Parisienne pour huit jours après cinq ans d’absence, j’ai parfois la curieuse sensation d’être entrée dans un livre de Philip K. Dick ou de Murakami.
Avec des moments de rupture spatio-temporels incontrôlables. Déjà, je me demande en voyant une télévision, -- ce que je n’ai pas fait depuis plus de dix ans --, où se promènent des présentateurs
dont je reconnais la voix mais qui ne me rappellent rien physiquement, si on peut vraiment tant vieillir en si peu de temps ?
Les gares SNCF ne vendent plus de billets de train, me dit-on.
Comment fait-on pour se déplacer si on ne dispose pas d’internet ?
Une expo ? Oui, mais seulement si vous pouvez montrer « patte code barrée »
blanche sur un smartphone connecté. Je n’ai ni l’un ni l’autre. J’aurais été privée de Van Gogh sans les amis ?
On m’a bien
prévenue. Traverser une rue en sens unique en vérifiant seulement le côté d’où sont censées venir les voitures divise par deux l’espoir de terminer la journée indemne. Surgie en silence et en sens
interdit, une trottinette électrique en libre-service vous percute sans prévenir. Si vous avez le malheur de protester, le « pilote » imperturbable et vertical vous adresse un majeur d’honneur en poursuivant sa route,
avant de jeter l’engin au milieu d’un trottoir, arrivé à destination. Sans gêne et non-respect.
Comme je le fais dix fois par jour en Grèce, aux terrasses
de bistrot ou devant le kiosque à journaux, je cherche, mais en vain, à croiser des regards, à échanger un sourire ou quelques mots. Inutile. Mes vis-à-vis, ou plutôt côte-à-côte, ne voient et ne
parlent qu’à leur écran portatif. Comment faire connaissance ?
En ce moment, circuler dans la capitale est mission impossible. Tranchées, barricades, travaux,
palissades, rues barrées, voies cyclables inversées, poubelles renversées, bouchons indémêlables… Ai-je réellement vécu un jour dans cette ville ? Et ai-je vraiment aimé ça ?
Certaines personnes sont délibérément citadines et d’autres viscéralement rurales. J’ai
testé sincèrement les deux et ai opté un jour pour le moyen terme : les petites villégiatures animées. Le fait d’avoir élu ma dernière adresse de ce genre dans une province reculée du Péloponnèse
m’a dissimulé l’envahissement exponentiel des modes de vie « connectés » dans les grandes villes. En constater brusquement les effets après une absence pourtant relativement courte me laisse un peu désorientée.
Et surtout perplexe.
Car je n’ai pas envie de ce monde ; mais il n’est plus possible, ou plus permis ?, de vivre « déconnecté » dans
ce monde, semble-t-il. Alors ?…
Et bien alors… je ne sais pas. Un ermitage dans les Himalayas ? Un peu frais peut-être. Un monastère en Ethiopie ?
Un peu chaud sûrement. Une tente Porte de la Chapelle ? Un peu embouteillé (et entre parenthèses, une véritable honte pour notre pays !). Un aller sans retour pour le Pacifique ou pour le Paradis ? Ma foi, il a semblé
à certains que la misère était moins pénible au soleil. On peut vérifier. Pourvu qu’on y puisse « déconnecter »… et déconner un peu aussi, tant que ça reste permis.