Je crois l’avoir déjà dit, je suis réellement droguée à la lecture. Intoxiquée, dépendante, accro totale. Pas une journée sans livre
ou journal, même un Mickey, pas un moment solitaire sans une page sous les yeux. Et si je n’ai pas de mots déjà imprimés à dévorer, j’en écris, je noircis des pages inutiles. Sans aucun souci de la
page blanche, juste l’incapacité à ne pas la noircir justement. Comme pour chaque toxico, j’ai trouvé mon dealer. La tablette Kindle. Je télécharge à tour de clavier des milliers de pages, j’ai toujours
quelque œuvre complète d’avance, au cas où… on ne sait jamais. Les auteurs passés dans le domaine public vous offrent désormais des centaines d’ouvrages quasi gratuits. Pour 0,99 euro pièce, tout
Balzac (14600 pages), Zola (17750 pages), Verne l’imbattable (38000 pages), et tant d’autres qui ont déjà enchanté mes nuits. Dernièrement, un peu à court de classiques, j’ai enchaîné les ancêtres
des créateurs de romans policiers. En commençant par leur aîné à tous, Edgar Allan Poe, puis Emile Gaboriau et Gaston Leroux avant Arthur Conan Doyle. Tous ces hommes se sont joyeusement servis pour leur personnage vedette
chez leurs prédécesseurs. Mais qu’à cela ne tienne. Lecoq, Dupin et Rouletabille nous ont amené Sherlock Holmes. Et ça, ça valait la peine.
Parce
que le docteur Doyle, victime du succès de son détective drogué, n’a pas reçu l’estime qu’aurait dû lui valoir l’ensemble de son œuvre. Sa biographie elle-même est passionnante et furieusement
moderne. C’est en la lisant que je suis tombée en arrêt sur le mot « lantiponnage ». J’ai d’abord cru à une coquille de la version ebook, ou à un néologisme du traducteur. Fi donc !
A quoi m’ont servi les études ? Lantiponnage existe bel et bien en français. « Lantiponner : Perdre son temps, s’attarder en discours futiles ou inutiles ». D’où « Lantiponnage :
Propos inutiles et importuns ». « Il ne fait que lantiponner au lieu de venir au fait » écrivit Huysmans. J’adore ! Etymologiquement parlant, cela pourrait venir de « lent »
et « pondre ». L’image est parlante.
Je suis alors entrée dans une rêverie amusée. Voilà un mot tel que devrait les aimer le nouveau
maître de l’hexagone, pour épater le menu peuple de sa mirifique érudition. Mais pourrait-on l’utiliser, nous, pour décrire le verbiage de ses affidés et débiteurs ? Je ne parviens plus à écouter
les matinales à la radio où sont invités tous ces gens parlant selon « les éléments de langage » imposés par leur chef, sans aucune sincérité, ni bon sens, ni compréhension
des demandes dudit menu peuple. Juste des lantiponnages donc, pour gagner du temps, passer en force les mesures imposées par leurs créanciers, et se moquer des souffrances de gens qu’ils ne rencontreront jamais. Ainsi régulièrement,
je coupe le son et retourne me plonger dans les intrigues cousues de fils multicolores d’auteurs qui ne se prenaient pas pour Jupiter, mais savait ce que parler, ou écrire, veut dire.
Sur l’île déserte, j’emporte mon Kindle… et la wifi pour le nourrir ! Ah oui, et l'électricité aussi... Zut... Bon, sans doute le vieux couteau suisse sera-t-il plus adapté à l'environnement.
Et je lantiponnerai entre moi et moi pour passer le temps !
[ Illustration : Arthur Conan Doyle by George Wylie Hutchinson ]