Une fois de plus, les Ottomans n’ont qu’à bien se tenir ! En ce jour de fête nationale, les quais de Gythio sont noirs de monde. Le soleil est généreux,
le vent s’est calmé. Tout ce que la ville compte de personnalités est au rendez-vous. En costume chic pour les hommes, en tenue d’apparat, escarpins vernis et cheveux au cordeau pour les femmes. Cet étalage de garde-robe est
en soi un spectacle. Mais il est surpassé par l’enthousiasme qui a présidé à la vêture des jeunes. Des petits aux ados, toutes et tous ont endossé le costume des ancêtres.
De jeunes Maniatissès en robes strictes, bleu pétrole et rouge profond, chemisier blanc et coiffe noire, des palikares en bottes montantes sur sarouel et fichu serré sur les tempes, des cavaliers fringants
sur de petits poneys gris, sans doute adaptés aux sentiers de montagne et même, modernisme oblige, un équipage de camions de pompiers, les fiers guerriers d’aujourd’hui.
Tout ce monde est rayonnant de fierté, de quelque âge qu’il s’agisse. Le sentiment d’appartenance à une déclinaison des Spartiates d’antan, traduisez
« des vrais anciens Grecs », me semble le réel ciment de cette fraction du peuple grec que n’ont pas touché les sirènes d’une mondialisation destructrice, les Maniotes. C’est à la fois leur
force et leur faiblesse. Certes ils n’ont pas vu passer les siècles depuis le VIe avant J.-C., et ne
s’en sont pas trouvés « illuminés ». Mais de l’autre côté, ils ont protégé toutes les règles qui faisaient de Sparte un État à part dans le monde méditerranéen
antique : l’accueil de l’étranger, la culture de qualités personnelles au seul service du bien commun, le respect de règles et de lois garantissant la sécurité de tous. Toutes choses dont je ne me risquerais
pas à dire qu’elles ont disparu de l’Europe occidentale, mais dont je ne retrouve guère de traces dans les éructations maladroites, les violences stériles, les lâchetés individuelles et les compromissions
gouvernementales entrevues sur les divers médias planétaires.
Sus-je en régression d’une vie antérieure dans le royaume de Ménélas ? Si
vous voulez. Disons que le règne actuel du dieu « Fric » me rend suffisamment cinglée pour espérer qu’existent réellement des vies et des choix parallèles.
[ photo : les quais noirs de monde devant la mairie en attente du défilé ]