Un peu avant Noël, Dame Iota a reçu un nouveau jouet offert par sa fille aînée. Un tout petit bébé encapuchonné. D’accord, il est le troisième
de la fratrie, mais les deux premiers éléments s’étant révélés de sexe féminin, ça ne compte pas vraiment. Même si Iota aime tendrement les deux gamines qu’elle élève quotidiennement,
-- les parents travaillant, comme tous les Grecs en état de le faire face à l’accroissement dément des charges et taxes en tous en genres (mais il semble que vous autres, en France, commenciez à comprendre de quoi il s’agit),
l’entraide familiale est redevenue règle et évidence --, la position d’un bébé mâle reste imprenable au sein de l’arbre familial grec.
Passés
ses quarante premiers jours, interdit de sortie par les coutumes orthodoxo-maniotes, le bébé nous a été présenté fièrement dans le bistrot de sa grand-mère. Théodoros, « cadeau de dieu »,
a fait ainsi son entrée au royaume des hommes, celui du kafénïon, celui que tient sa grand-mère (je vous ai souvent parlé de cet endroit hors normes où l’on accueille les greffiers perdus la nuit et les cassés
de la vie dans la journée). Au fil des années, ce bébé en deviendra la mascotte, la perle des yeux de ses ascendants puisque porteur du « nom », le tyran de ses sœurs, le petit monstre du quartier à
qui toutes les bêtises seront permises, que dis-je ?! encouragées !, et pour finir, selon le sens du vent et de son destin, dealer ou avocat, bistrotier, pêcheur ou exilé fiscal. Bienvenue dans ton monde Théodore !
Auras-tu le temps de m’expliquer, toi qui arrives, à moi qui pars, les raisons qui t’ont fait choisir ton incarnation, ici et maintenant, dans un monde tout de même curieux,
non ? Un monde où les médecins n’hésitent plus à trafiquer les cellules embryonnaires pour fabriquer des bébés médicaments à l’usage de quelques riches au-delà de la raison, où
des entrepreneurs déments visent désormais l’immortalité d’un homme augmenté, mais aussi un monde où des jeunes consacrent leurs loisirs au sauvetage d’émigrants en noyade, où des pauvres soulagent
de plus pauvres qu’eux sur les côtes de Lesbos par exemple. Un monde où des abrutis sourdingues refusent d’entendre les hurlements d’une planète au désespoir, mais aussi un monde où fleurissent de plus en
plus d’îlots, certes minuscules, d’harmonie humaine et naturelle comme les écovillages des Colibris…
J’ai beau savoir que l’univers est en homéostasie
et que bien et mal s’équilibreront toujours, la vision qu’en transmettent actuellement ces nouveaux modes de relations aussi venimeux que guérisseurs, « les réseaux sociaux ! », me trouble et m’effraie.
J’espère, Théodore, que si tu as choisi ce moment de nous rejoindre, c’est que tu y apportes quelques outils adaptés et ignorés
de moi. Alors une nouvelle fois, bienvenue dans ton monde !