Aux dernières analyses, « Mare nostrum » notre mer-mère, est aujourd’hui la plus polluée de la planète. Bétonnage de son littoral,
pollution de ses eaux, destruction de sa faune et flore, dégazage des porte-containers qui la traversent sans discontinuer et tourisme massif des amoureux toujours plus nombreux des croisières, oui, les monstres ont attaqué et sont désormais
tout-puissants.
Les dégâts semblent déjà irréversibles. Sauf à faire sauter à la dynamite les stations balnéaires démesurées
qui emplissent les poches des promoteurs immobiliers, à interdire la construction de ces villes flottantes et polluantes que sont les nouveaux paquebots, dont certains accueillent à bord en autarcie plus de quatre mille personnes sans réelles
retombées économiques sur les ports d’escales. Sauf à filtrer les intrants chimiques déversés par tonnes depuis les exploitations agricoles intensives des deltas, et à surveiller l’usage des carburants
des cargos géants qui se succèdent nuit et jour en file indienne de Suez à Gibraltar. L’énoncé même des solutions montre leur inanité. Les monstres ont déjà gagné, même si la
fronde gronde ici et là, à Palma, à Venise, sur la côte dalmate : beaucoup de nuisances et pas ou peu de retombées positives sur le pays, se plaignent à présent les habitants échaudés.
En même temps –comme dirait Jupiter -, le miroir aux alouettes de la traversée continue à attirer des malheureux aveuglés par la souffrance et les promesses de vendeurs
d’un rêve vite transformé en cauchemar. Et la mer nourricière devient aussi mouroir, ajoutant au désastre. Dans l’indifférence d’un égoïsme galopant, de peurs ingérables, de pousse-au-crime
cyniques. Certes, la situation jugule le chômage de quelques-uns, passeurs-livreurs, recycleurs de radeaux pneumatiques percés, vendeurs de tentes rapiécées, fournisseurs de faux-papiers, tout un monde ignoré mais générant
un grand brassage d’argent de toutes les couleurs et odeurs, sur fond de cadavres et de désespoir.
C’est bien, les monstres avancent. On en fera bien quelque film à
succès !
[ Le Seven Seas Voyageurs, 1200 personnes à bord, ancré ce jour à Gythio ]