Ils sont partout depuis quelques jours. Ils ont jailli, effilés, dans la lumière et la caillasse. Lumineux, presque évanescents de délicatesse, graphiques et longilignes, purs ou torturés. Ils soulignent le décor
aride, humanisent les pierriers, défient le ciel bleu. J’aime les asphodèles.
Pour les anciens Grecs, ces tiges étoilées, fières ou contournées, ployant au moindre souffle, figuraient « le
frissonnement des âmes déplacées par le vent de la mort »*. Pour eux, l’enfer d’Hadès était pavé de prairies d’asphodèles agitées par les vents d’automne. Vie illusoire
et fragile, reflet, illusion, mais aussi changement, miracle de la vie surgissant de la mort, quel joli symbole de l’immortalité de nos âmes. J’aime les asphodèles.
J’aime aussi qu’ils soient masculins avec
une apparence aussi féminine. Si ces fleurs osent le désert arabique, puissent-elles faire réfléchir les cerveaux mâles porteurs de keffiehs et castrateurs de femelles. J’apprends ce matin que les quelques candidates
pour la première fois autorisées à se présenter aux élections (municipales, je vous rassure, rien de trop conséquent au niveau décisionnaire) à Ryad, devront cacher leur visage sur les affiches et faire
lire leurs discours de campagne pour des porte-parole masculins. On avance ! Visiblement, il reste encore quelques têtes à sabrer au royaume, mais pas forcément celles qui tombent chaque jour dans le sable en ce moment.
Mon
épouvante devant les aberrations de cette humanité est sans fin. Il faudra sans doute encore quelques milliards de renaissances des champs d’asphodèles pour régénérer l’Âme humaine. A moins que les
dieux ne se lassent… ce que je comprendrais.
*. J. Lacarrière, Au cœur des mythologies