… de la famille des carangues, une sorte de gros thon d’un mètre cinquante, à la queue jaune (les Américains, amateurs de pêche sportive, car la bestiole est réputée pour avoir une bonne défense,
l’appellent Yellowtail Amberjack), sorti de l’eau sous mes yeux dans le port de Géroliménas, au grand bonheur des restaurateurs du coin. Ils étaient trois à se disputer l’achat de la bête, promesse
d’assiettes faciles à vendre aux derniers touristes de l’été. C’est mon pote Nikos qui l’a finalement emporté et chargé dans le coffre de sa grosse voiture. La queue dépassait presque tellement
le bestiau était long.
Du coup, je me suis empressée de terminer l’ouzo rituel et j’ai suivi le vainqueur jusqu’à sa taverne. Moi aussi, je voulais goûter du monstre ! Et j’ai bien fait. Prestement
vidé et découpé en darnes épaisses, le sériole, -- la sériole ? comment dit-on ? c’est la première fois que j’entends ce nom -- a bientôt garni toutes les tables de la terrasse.
Délicatement grillé, ni trop ni trop peu, juste comme il faut, noyé de citron et d’origan, un peu d’huile d’olive maison et que demande la vie ? Je suppose que Nikos est rentré largement dans son investissement.
Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi le poisson frais est si cher ici alors qu’on le voit arriver en circuit très raccourci. Mystères de l’économie parallèle grecque. Aucun reproche possible à faire à
Michel Edouard pour cette fois, mais le régal marin revient quand même à 15 euros l’assiette, sans les annexes. Alors qu’une côtelette big size, accompagnée de frites maison et d’un quart de vin blanc m’a
été facturée hier 8 euros l’ensemble. Je ne comprends pas tout. Pareil pour les poulpes ou les calamars, qui arrivent pourtant dûment congelés du Maroc et qui sont intouchables sur les menus. Mystères, mystères.
Les Grecs, eux, ne font aucun mystère de leur mode de survie après les soubresauts politiques du printemps. Ils trichent tant et plus, impossible pour eux de s’en sortir autrement, disent-ils. Et je comprends bien qu’avec des revenus
amputés, un coût de la vie augmenté d’une TVA scélérate et la promesse de ne jamais se sortir de la fameuse dette sous la férule des financiers européens, ils ne pensent pas en priorité à
nourrir le gouvernement de leurs impôts… C’est à la fois stupide et compréhensible. Comment la Walkyrie et son acolyte grognon ne comprennent-ils pas ça ? Encore un grand mystère pour moi.
Mais je
dois dire qu’en deux semaines de reprise de contact, je n’ai encore rencontré aucun Grec râlant comme moi. Chacun poursuit son chemin, sa vie, à la fois désenchanté et blasé, souvent souriant. Mystère
de la force de vie qui m’attire tant en eux.