« Il savait que, quoi qu’il arrive, tout irait bien. Parce que c’était la chose à faire et qu’il était à sa place. Il était enfin arrivé chez lui, dans ce lieu de bonheur et
de plénitude qui l’attendait au bout de cette longue route chaotique. Il était chez lui. » Robert Goolrick, Heading out to wonderful
C’est quoi la plénitude ? A priori, le contraire de la
vacuité, du vide. Et pourtant je ressens les deux mots comme des synonymes. Bizarreries de la langue française. Difficultés de « l’ex-pression », de la mise en mots, à l’extérieur, de ressentis
intimes et informels.
Oui, pour moi, se sentir à la fois empli et vacant n’est pas incompatible. Au contraire. Comme si faire de la place en soi en arrêtant le petit moulin du mental autorisait l’entrée libre de l’illimité,
en temps et en espace, d’un éternel et d’un non-lieu qui nous relieraient à… ben oui, je suppose qu’il faut bien appeler cela Dieu, Yahvé, Grand Manitou, Conscience supérieure ou juste Soi, ou comme il vous
plaira.
C’est en tous cas une sensation totalement jouissive, corps et âme, que certains lieux et époques déclenchent en moi et que doivent éprouver à demeure les mystiques de toutes obédiences.
Mais
trêve d’ésotérisme puisque j’écris sous l’influence conjuguée de l’ouzo et d’un chaud soleil de printemps. Je lis Goolrick, je pose des mots sur le papier, et j’écoute les tables
voisines à la terrasse d’un bistrot de village perdu dans la montagne, sur les pentes enneigées du Taygète. A ma gauche, quinze ados descendus du car scolaire et attendant les voitures familiales relais. Onze filles, quatre garçons,
deux tables, pas de mélange. Aucun échange, aucun chahut, aucune blague. Deux mondes étrangers. Ils ont entre 13 et 16 ans et se tournent soigneusement le dos.
Quel incroyable trajet devront-ils faire pour se retrouver adultes,
partenaires, équilibrés, « dé-psychosés » et aptes à la plénitude ?! Bien qu’incorrigible optimiste, je ne parviens même pas à l’envisager. Nous ne sommes pas en
terre d’islam frénétique, juste de machisme fanatique. Un dénominateur commun cependant : la peur de l’Autre.
Allez, les filles, il y a encore du boulot !
[ Le Taygète
ennneigé ce matin ]