Ma plage préférée. L’eau est insolente de bleus improbables, quasi extra-terrestres. Véronèse, Van Eyck auraient brisé leurs mortiers à lapis-lazuli et autres pierres précieuses sans parvenir
à reproduire un centimètre carré de cette chatoyance azurée. Comment les hommes peuvent-ils ignorer à ce point la beauté de notre planète et réduire leur décor à des barres de béton
ou des amas de phénix en siporex bruyants et surpeuplés et finalement accélérateurs de désespoir ? Grand mystère pour moi j’avoue.
Et non, non, ce n’est pas une question d’argent. Les
gens d’ici en ont bien moins qu’un chômeur de La Courneuve (je ne sais d’ailleurs pas si on chôme à La Courneuve. Probablement. Où en France ne chôme-t-on pas ?). Si nous cessions de mettre la vie en chiffres
sonnant de moins en moins et faisant trébucher de plus en plus, peut-être reprendrait-elle ses vraies couleurs de joyaux pour les sens et pour l’âme. Disons que pour le moment, la crise et la peur (c’est la même chose)
lui font écran.
Sur la plage en contrebas de la terrasse de la taverne qui surplombe un décor de brochure touristique, je vois passer quelques voyageurs étrangers. Ils s’assoient non loin de moi pour un café, une bière,
se laissent fasciner par le spectacle pour une ou deux heures, et remettent le sac sur l’épaule en soupirant, parce que l’hôtel du soir est ailleurs, plus loin, et qu’on n’est pas là pour se laisser vivre, nom de
Zeus. Il faut « faire » du tourisme. Et je mesure ma chance. J’ai acquis tout le temps de ne plus rien « faire » de ce genre. Privilège auquel j’ai parfois encore un peu de mal à croire.